Renaître est votre dixième long-métrage. Comment est né ce nouveau film ?
Il est né de l'envie de tourner un long métrage avec Manuel Blanc, ami de longue date, que j'avais déjà fait jouer dans mon long métrage Mes Parents en 2003. Habitant dans la même ville que moi, Marseille, on a décidé de tourner quand on pouvait, sans scénario, sur la base d'une histoire simple : un homme (Manuel Blanc) vit dans les calanques et rencontre sur son chemin des personnes aux caractères bien trempés, qui l'embauchent parfois chez elles pour faire le ménage. On a tourné 4 scènes de façon improvisée dont une avec Rose Portes, une sexagénaire de Marseille qui est une amie de ma mère et avec laquelle j'avais des points communs : sa passion des films d'horreur et son amour du karaoké. Mais je me suis vite rendu compte que l'on se trouvait dans une impasse scénaristique. Et j'ai décidé début août 2024 de changer la thématique. Le film allait désormais parler de la difficulté pour une personne âgée de trouver l'amour. Un thème que j'avais déjà effleuré dans mon film L'Œuf dure mais que je voulais approfondir, étant moi-même confronté à ce problème : comment trouver l'amour, comment faire l'amour quand on est âgé dans un monde consumériste où les "peaux fripées" sont confrontées à des gens qui se prostituent ou qui monnayent leurs corps ? J'ai donc demandé à Rose si elle voulait bien incarner cette personne âgée, elle a accepté. Manuel a accepté aussi l'idée qu'il ne serait plus qu'un personnage secondaire. Ensuite avec Ivan Mitifiot, acteur lui aussi dans mes précédents films et créateur du festival Écrans mixtes de Lyon, qui avait déjà joué avec Manuel (dans une des 4 scènes improvisées), on a rédigé un traitement d'une dizaine de pages, avec des dialogues assez précis, qui allait nous servir de base pour le tournage qui a eu lieu principalement en octobre 2024.
Le thème de l'amour et de la sexualité chez une personne âgée est un sujet peu courant dans le cinéma français. Comment souhaitiez-vous le traiter ?
J'avais des films-phares en tête : Harold et Maud, Tous les autres s'appellent Ali, Gerontophilia... Je désirais aller plus loin que ces œuvres au niveau de la représentation des corps et des actes sexuels... Il fallait que le désir de la personne âgée soit totalement décomplexé : la femme âgée devait être fière d'être ce qu'elle est, de son corps, affirmer haut et fort qu'elle aime "les beaux gosses" (pour reprendre son expression dans le film) et les jeunes hommes (majeurs bien sûr !). Renaître est aussi un film sur la différence d'âge dans une relation sentimentale ou sexuelle, souvent mal vue dans notre société, même dans certains groupes moralisateurs de gauche. Ce film devait être aussi un combat contre l'âgisme et pour le droit au bonheur et au plaisir des personnes âgées. Un lutte entamée en 2009 par Brigitte Fontaine, une des rares personnes âgées françaises à clamer haut et fort et avec des mots crus :
"Foutre interdit à soixante ans,
Ou scandale et ricanements.
Je suis vieille et je vous encule,
Avec mon look de libellule (...).
Je vais baiser boire et fumer,
Je vais m’inventer d’autres cieux,
Toujours plus vastes et précieux."
Ou scandale et ricanements.
Je suis vieille et je vous encule,
Avec mon look de libellule (...).
Je vais baiser boire et fumer,
Je vais m’inventer d’autres cieux,
Toujours plus vastes et précieux."
(Chanson PROHIBITION).
Il faut préciser que Renaître parle aussi de bien d'autres choses, comme les masques donc les mensonges que l'on peut rencontrer au sein d'un couple, qu'il soit hétérosexuel ou homosexuel...
Vous faites intervenir dans votre film des acteurs non professionnels auprès d'acteurs confirmés tels que Manuel Blanc. Comment avez-vous vous conçu votre casting et pouvez-vous nous parler de votre travail avec les acteurs ?
Acteurs professionnels ou pas, je fais avant tout tourner des personnes que j'aime, des fortes personnalités qui apprécient mes films, mon univers, mon combat contre les préjugés et les tabous, et qui adhèrent à ma manière de tourner. Étant moi-même autoproducteur et sans grands moyens financiers (ce n'est pas mon souhait mais les producteurs à qui j'ai eu affaire non seulement ne te paient pas mais en plus ne te donnent plus aucun droit au "final cut", donc j'ai préféré rester le maître unique de mes créations), je suis juste équipé de caméscopes HD et 4K et d'un petit micro. Il ne faut donc pas avoir honte de tourner dans ces conditions, façon Dogme95, sans équipe technique (sans chef opérateur, sans lumières, sans ingénieur du son, sans maquilleur, etc.). Une façon très libre de tourner un film mais qui peut paraître amateur aux yeux des professionnels du cinéma, qu'ils soient journalistes, techniciens ou producteurs. Pour ce film, la seule personne que je ne connaissais pas était Herman Kimpo, qui incarne Omar, l'un des beaux gosses vampirisés par Rose. C'est un ami, Philippe Pelletier, qui me l'a conseillé (je voulais faire tourner l'acteur de mon principal de mon film Aboubakar et moi mais celui-ci était occupé par son travail en Italie...). J'ai envoyé à Herman le texte d'une scène essentielle de son personnage, qu'il a jouée seul devant son téléphone et m'a envoyé la vidéo. J'ai été immédiatement impressionné par son talent. J'ai envoyé la vidéo à Ivan qui m'a confirmé que c'était lui et personne d'autre pour ce rôle du jeune migrant. Toutes les personnes qui ont vu le film le trouvent extraordinaire.
Comment vous préparez-vous aux critiques du film ?
Baudelaire détachait la poésie de la morale, la proclamait tout entière destinée au Beau et non à la Vérité ! Si je lis une critique de mon film fondée sur la forme, au-delà de toute morale, bien construite et délicate, je suis toujours preneur ! Mais si c'est juste une critique sur le fond qui ME confond avec un des personnages (a-t-on encore le droit de représenter un odieux personnage à l'écran ?), provenant en plus de gens de gauche dont je fais partie, ça me blesse forcément, car je reste avant tout un être humain ! Je vais commencer par citer un article de Charlie Hebdo : https://charliehebdo.fr/.../ la-cancel-culture-ces.../ "La supercensure : celle venue de la gauche, au nom du "bien". Mais surtout, il ne s'agit plus seulement d'effacer des propos, mais la personne elle-même, symboliquement, quand sa parole est jugée "offensante". C'est ce qu'on appelle la "cancel culture". Tout est fait pour que cet individu perde son emploi ou ne puisse plus ni éditer ni produire quoi que ce soit. Une sorte d'"excommunication" laïque et moderne." Voilà ce qui est à l'œuvre dans certains festivals lgbtqia+ (pas tous, heureusement)... et dont je fais les frais. Depuis mon film Aboubakar et moi (2022) certain.e.s m'ont confondu avec le méchant personnage que j'incarne : un pervers pépère gay qui tente d'abuser d'un jeune migrant hétérosexuel en situation de détresse (et encore "abuser" est un mot fort car le personnage le drague lourdement, ne l'agresse pas, une forte amitié naît entre eux, le jeune migrant "victime" reste chez lui alors qu'il pourrait retourner vivre à la rue...) Aujourd'hui on juge un film moralement, par son fond, pas pour sa forme. Aujourd'hui, dans ce monde de bisounours intolérant et incapable de reconnaître la complexité et les contradictions d'un être humain, on n'a plus le droit d'incarner un "méchant" qui profite ou abuse d'une autre personne, quelle qu'elle soit, une personne "blanchisée" ne peut plus avoir une histoire d'amitié ou d'amour avec une personne "racisée" , elle ne peut plus peindre ses fesses (comme Rose dans "Renaître"), un.e cinéaste blanc.he ne peut plus montrer une personne "racisée" nue - fesses ou seins - à l'écran car c'est de "l'appropriation culturelle" offensante pour eux (ce dont on a accusé Ocelot pour Kirikou !), une personne âgée ne peut plus avoir une histoire avec un jeune ! Et quand on fait un film comme ça, on t'accuse (c'est ce qu'a dit un programmateur de festival à un ami) de - je cite - faire un "film de merde" où "tout est laid", de "penser de la merde", bref d'être une "MERDE". Et on te jette dans les oubliettes du révisionnisme sans aucun procès, sans te donner la moindre occasion de te défendre. Étant de gauche, je suis étonné de cette dictature de la pensée de gens dits "de gauche", qui vient du "wokisme"... Le wokisme partait d'une bonne intention, mais certain.ne.s on en fait une pensée unique, celle d'une morale simpliste et sournoise qui mène à la suppression totale de tout discours et de toute représentation qui peut lui être contraire. Résultat (exemple) : un film comme Aboubakar et moi a été vite supprimé de ces festivals, seule possibilité pour ce film d'exister au même titre que les autres œuvres cinématographiques françaises. Le film n'est pas programmé, aucun débat n'est possible et une sale rumeur se répand à propos du ou de la cinéaste qui est inscrit sur une liste noire savamment rédigée par une personne... de gauche ! Je suis effacé petit à petit, comme Bruce LaBruce (entre autres), par cette "cancel culture" extrémiste qui se répand progressivement, tel un nouveau maccarthysme. Je suis devenu ce "vieux sénile fétichiste du cul d'un noir" "sur la pente de Renaud Camus" (je cite encore), et on me traite même de "raciste" (mdr). La chasse aux sorcières ne vient pas de là ou l'on pense. On juge un auteur et non plus son œuvre... Cela ne m'empêchera pas d'avoir des convictions de gauche (je suis un "insoumis"), mais je n'avais pas imaginé qu'une telle lutte interne pouvait avoir lieu en France. N'en déplaise à ces dictateurs manichéens, au-delà de toute frontière et de tout barrage, je continuerai de faire des films où des blancs abuseront des noirs et où des noirs abuseront des blancs (comme le Omar "bourreau" profiteur et menteur de RENAÎTRE), où une personne blanche fera de belles peintures des fesses de son petit ami noir, où une personne noire aura des sentiments pour une personne blanche, où un jeune aimera baiser une vieille personne... Je reste heureux et libre, surtout en autoproduisant mes propres films, car au moins je n'ai pas à subir la pire des censures, celle qui intervient à la création de l’œuvre, celle des producteurs qui se plient souvent à la morale générale bien pensante et pesante !
Interview réalisée par Bruno François-Boucher en janvier 2025.